mardi 30 décembre 2014

Hammer Of The Gods

« Au cours de la même soirée, Peter Grant repéra Bob Dylan et s'approcha de lui la main tendue en se présentant : "Je suis Peter Grant, le manager de Led Zeppelin." Dylan jeta un bref regard à Grant et rétorqua, impassible : "C'est votre problème, pas le mien." »

Stephen Davis, Hammer Of The Gods   2011.
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Bouclé, le même après-midi d'un 8 novembre anniversaire de notre rejeton, les 10 km de L'Isle-sur-la-Sorgue, et tombé sur "Hammer Of The Gods", ça c'est rock'n'roll ! Enfin, n'exagérons rien. Car si ce livre est écrit dans un style aussi puissamment expéditif que l'était celui du vainqueur de ladite course vauclusienne, on le déplore presque, au début, tant cela va vite et que l'on aimerait davantage profiter de l'histoire en prenant le temps, à chaque virage. Mais cela est autrement plus fidèle au ton musical imprimé par le groupe, dont Stephens Davis narre l'épopée d'une douzaine d'années.
Un book, où l'on croise les déités des prémices du blues-rock anglais, les Jeff Beck et Eric Clapton (qui précédèrent Page, au sein des Yardbirds), quelques scarabées qui s'extirpent sous des pierres qui roulent. C'est que, aux premiers chapitres, Jimmy Page n'est alors que Little Jimmy, même s'il griffe des quantités de plages de guitares pour les groupes qui cherchent un talent en entrant en studio ("You Really Got Me", des Kinks, évidemment). John Paul Jones est, lui aussi, assez renommé en tant que side man, enregistrant ses arpèges à la basse et travaillant aux arrangements des autres. Mais, non loin, Robert Plant n'est encore qu'un chanteur amateur, qui fait ses premières vocalises dans les pubs de la Vieille Angleterre, et John Bonham qu'un batteur féroce et sale gosse de son quartier, comme il le restera toujours, tout en devenant l'un des meilleurs drummers du monde et, probablement, depuis trente-cinq ans, de l'au-delà.
Quelques sessions plus tard, quoique dans l'anonymat journalistique, le groupe est déjà au plus haut de la gloire populaire, surclassant The Beatles et The Rolling Stones. Rien que sur la moitié du premier album, il y a déjà toute la signature de Led Zeppelin : la couleur acoustique, les riffs électriques, les arrangements en ruptures, en déchirures, le hammer rythmique, le blues d'un Robert Johnson, l'union sacrée voix-guitare, et les coups d'archets de "Dazed And Confused". Le disque suivant démarre fort, très fort : "Whole Lotta Love" frappe d'un sceau nouveau la musique de l'époque, grâce à la brutalité entière du quatuor, "Ramble On" ou "Moby Dick" ajoutent leur caractère intemporel. "III", injustement sous-estimé, cache des trésors intimistes et violents, avec les saccades de "Immigrant", l'oriental "Friends", le banjoïstique "Gallows Pole". Le quatrième enregistrement est celui de "Stairway To Heaven", un hymne, un roc(k), Tolkien et Jansch réunis, l'alliance parfaite du blues, du folk, du rock. Sous les calmes arpèges gronde un Led Zeppelin en volcan.
Parallèlement à la musique, rixes, bizutages, orgies, attestent lamentablement que les pires clichés sex, drugs and rock'n'roll ne sont pas une légende ; du moins, pour les four symbols qui s'efforcent, sans peine, à lui conférer ses titres de noblesse. 
« Des barbares », sont-ils ainsi décrits lorsque la presse daigne parler d'eux, ce qui déclenche bien des rires chez les principaux concernés. Les maintes colères seraient-elles "excusables" ? Un soir, à Nantes, le groupe saccage l'hôtel où les musiciens sont descendus, faute de n'avoir trouvé de quoi préparer du thé — cela peut déclencher de terribles contrariétés, sûr. Comme nous devons admettre, le plus légitimement du monde, que l'idée de jeter par les fenêtres des chambres toutes les télés d'un hôtel s'argumente facilement. Une autre fois, Bonzo manqua — on l'en empêcha — de détruire un train, fâché du retard que ce dernier accusait. « C'est un enterrement de vie de garçon qui ne se termine jamais », justifie Page, en éternel adolescent. Pagey, Jonesy, Percy et Bonzo sont autant indisciplinés que leurs cheveux sur leurs têtes de mômes. Leur folie est une douce et dangereuse poésie.
La saga de Led Zeppelin démarre aux États-Unis, comme le symbole d'un pèlerinage aux sources du blues du Delta qui inspira les fondateurs du groupe. Sur scène, les concerts se suivent, ne se ressemblent pas forcément — puisque les quatre improvisent longuement (écoutez les archives live des prestations du groupe) —, mais ont une constance, l'énergie métallique insufflée par une cohésion instrumentale exceptionnelle : « Ce furent Mardi Gras, les Saturnales et le Nouvel An chinois réunis en un seul et unique concert de rock », raconte-t-on, lors de la tournée de 1972.
Stephens Davis détaille les titres enregistrés, les sessions, les influences multiples, le matériel, évoque les rencontres avec l'inspirateur légendaire, Elvis Presley, ou avec la divine égérie Joni Mitchell. 
L'auteur chronique nombre de concerts, les discours, les rappels, l'ambiance depuis les loges et... les coups-de-poing, qui s'échangèrent parfois, au gré des mauvaises rencontres. Toute la légende, fidèlement résumée, du célèbre groupe qui scelle les deux décennies des années '60 et '70 au ciment d'un rock lourd et aérien.
Led Zeppelin : un sorcier, un hippie, un discret et une bête ; un supergroup spontané, un combo socialement irresponsable, si ce n'est d'avoir influencé Steve Harris (faute avouée), John Cowan (nous l'imaginons) ou some hurdy gurdy players (Page le premier !), à la fois ; la palette est large.
Un livre lu, alors que nous découvrions ce texte des calvinistes cévenols de décembre 1603 qui condamne « ceulx quy portent les cheveulx longs », lu en composant "The Kidnapping Of Lori Maddox".

mardi 25 novembre 2014

Une autobiographie

« J'ai écrit des tas de chansons. Certaines sont nulles, d'autres géniales, d'autres encore seulement passables. Enfin, tout ça, c'est l'opinion des autres. Pour moi, elles sont comme mes enfants : elles naissent, elles grandissent et elles sont lâchées dans le vaste monde et doivent se débrouiller toutes seules. Ce n'est pas un endroit pour une chanson, le monde. Ça peut se retrouver sur une cassette jetée à la poubelle, ou sur un CD abandonné par quelqu'un, ou même dans un bac de disques bradés. Ça peut finir en air oublié qui se languit sur un vinyle à la décharge ou, avec un peu de chance, sur l'étagère d'un disquaire indépendant. »

Neil Young, Une autobiographie   2012.
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Georges Brassens disait qu'une fois écrites, ses chansons ne lui appartenaient plus. Libre à quiconque d'en disposer, de les interpréter, de les posséder. De leur donner nouvelle vie.
Même s'il s'inquiète de leur sort, Neil Young s'est toujours préparé à émanciper ses compositions, à leur offrir la liberté, quitte à ce qu'elles s'évadent, errent, se perdent. Comme il a toujours été, lui-même, un grand voyageur, il accorde à ses créations l'idée qu'elles puissent partir s'aventurer sans lui. Ce grand baroudeur canadien, né à Toronto, en 1945, a effectué ses débuts à Winnipeg, avant d'aller s'installer en Californie, à San Mateo, comme le firent Joan Baez, en son temps, ou… Célestin Jaussaud, bien avant.
Mais ses voyages et multiples virées à travers les états des deux Amériques tiennent à un insatiable besoin de rouler, d'être en partance, continuellement. Tant est-il mené par la faim d'avaler des kilomètres, que l'une de ses passions les plus assumées est la construction de trains électriques, et, bien entendu, l'achat compulsif de belles voitures (Ford, Buick, Cadillac, etc.). Et, au gré de l'énumération de ses automobiles, bus et corbillards, l'artiste raconte, par étapes, ses histoires, de ville en ville, de disque en concert. Parle de ses musiques, de sa vie consacrée à la musique, de ses envies de créer projet après projet, sans cesse, comme une obsession, une boulimie incurable.
Si ce n'était le titre du livre, qui avertit le lecteur, on se laisserait surprendre par la découverte d'une autobiographie camouflée derrière une sorte de journal intime. Car il ne s'agit pas — hélas ? — d'un pavé biographique autoritaire et rangé ; ici, Neil Young prend davantage le rythme d'un récit au verbe plus spontané que construit. Nous avons presque le sentiment que ses « mémoires » n'ont guère subi la moindre relecture. Le texte est brut, abrupt. Parfois maladroit, bien que le caractère d'une rock star visuellement imbue d'elle-même puisse expliquer la « suffisance » de l'écrivain et l'engagement très aléatoire d'une personne éminemment orgueilleuse, qui pousse le vice à juger l'égocentrisme d'autrui.
Un livre lu en écoutant la bande originale du film "Dead Man", l'un des plus beaux albums du chanteur et guitariste — mais que l'auto-biographe n'évoque pas dans ses souvenirs —, et pour essayer d'apprendre tout ce que savent déjà les deux chevaux fous Matthieu et Cyrille sur le Loner.

dimanche 19 octobre 2014

Le temps n'est rien

« Les choix qui s'offrent à nous sont, premièrement, un univers monobloc où le passé et le présent coexistent simultanément et où tout s'est déjà produit ; deuxièmement, le chaos, où tout peut arriver et où rien n'est prévisible car on ne connaît pas toutes les variables ; et troisièmement, un univers chrétien où Dieu a tout créé, où tout est là pour une raison précise, mais où nous jouissons malgré tout du libre arbitre. »

Audrey Niffenegger
, Le temps n'est rien   2003.
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Le temps n'est rien. Les jours et les heures ne se ressemblent pas… car ils ne se suivent pas. Henry sabote les décennies, passe de 1997 à 1977, de 1986 à 2003. Du XXe siècle au XXIe siècle. Du lundi matin au jeudi soir. Ses semaines ont deux jeudis, parfois. Si ce n'était que ça…
Henry a trente-et-un ans. Puis seize. Ou… onze et vingt-deux ans : à la fois ! Il est deux. Deux Henry. Un : lui et son double. Lui et lui. Claire ne voyage pas, elle. Mais, au cours du récit, elle a six, quinze ans, vingt, trente, etc. Si ce n'était que ça…
Henry voyage nu. Il ne porte rien. N'apporte rien. N'emporte rien. Pas un vêtement, pas un sou. Pas un secret. Mais quelques confidences, tout de même. Henry ne maîtrise pas ses "disparitions", ses errances dans le temps, ni le temps (de la durée) dans le temps, ni les lieux de ses arrivées. Il en devine les enjeux, cependant. Il sait qu'il n'a, paradoxalement, que peu de liberté. Si ce n'était que ça…
Nous sommes, à nouveau, éternellement, dans cette impossibilité de se jouer du temps. Le voyage dans le temps est, pourtant, ici, réalisé. Mais compliqué, contraignant. Dangereux !
Audrey Niffenegger a choisi de nous impliquer dans son histoire, dans les histoires d'Henry et de Claire, en confiant la narration à ce couple atypique. Dans cet exercice, l'écrivaine est admirable ; avec une plume riche, passionnante, elle alterne le sentiment masculin et féminin, sans rompre le style. Et crée une intrigue simple, la recherche du bien-être individuel, malgré des différences immenses : l'un est absent, l'autre attend ; l'un vit pleinement le présent, l'autre ne le peut qu'imparfaitement. Le plus difficile, semble-t-il, dans les cas d'Henry et de Claire, est l'assimilation des souvenirs. Certains appartiennent uniquement au passé de l'un, d'autres sont communs, sans avoir les mêmes valeurs. Bien évidemment, selon le présent dans lequel se (re)trouve Henry, selon son passé et ce qu'il sait de son futur, l'histoire n'est pas vécue avec des émotions intactes.
En refermant ce roman, on se dit que "Le temps n'est rien" pourrait avoir une suite. Espérons qu'Audrey Niffenegger ne lui en donne pas. Que les vies d'Henry et Claire se perdent dans la nuit des temps…
Un livre lu en voyageant vers des demains redoublés, dans un présent qui prend pour tremplin le chaos du passé.

dimanche 21 septembre 2014

Born to Run (Né pour courir)

« À la différence de Lance, les Tarahumaras ne refont pas le plein de sels minéraux avec des boissons d'effort. Ils ne réparent pas les dommages musculaires de l'exercice avec des barres hyperprotéinées. En fait, ils ne mangent pratiquement pas de protéines et ne se nourrissent pour ainsi dire que de maïs parfois agrémenté de souris grillées, leur friandise favorite. À l'approche d'une course, les Tarahumaras ne s'entraînent pas et ignorent l'affûtage. Le jour même, ils ne s'échauffent pas et ne s'étirent pas non plus. Ils se pointent simplement sur la ligne de départ en rigolant… et partent comme des dératés pour 48 heures. »

Christopher McDougall
, Born to Run (Né pour courir)   2009.
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Un jeune homme, beau, glabre et hâlé, le sourire affichant une joie et une aisance à la course, fend la vitesse d'une piste rocailleuse. Vêtu d'une ample chemise écarlate, d'un pagne clair et… de sandales de fortune, il ne ressemble à aucun des runners en-dossardés pris dans le même effort au sein d'une compétition. C'est une image. Celle de la couverture du livre. Mais elle revient, au long de ces centaines de pages, nous tenant en haleine, cardio à 200, nous accompagnant, pas à pas, foulée après foulée.
Le coureur est serein. On devine une allure maîtrisée, habituelle. Même s'il est parti comme un dératé, il court détendu. S'appuyant sur des descriptions particulières (anecdotes, historiques, non-dits) d'évènements sportifs (marathons, trails, ultra-marathons), McDougall avance dans son écrit et dans sa découverte des antagonistes, en même temps qu'il pénètre dans le pays sauvage d'un peuple que le lecteur ne connaît pas : celui des Tarahumaras, sis dans les canyons hostiles des montagnes mexicaines du Chihuaha.
De sa rencontre avec les Tarahumaras, McDougall ne sort pas indemne. Et nous ne sortons pas indemnes, après la lecture de son pavé. Ce livre est un must ! Une bombe ! McDougall n'est pas un anthropologue. Ni un philosophe, ni un hippie. Certainement pas un cardiologue ou un spécialiste des sports d'endurance extrêmes. McDougall, c'est Pierre Rahbi, avec la guitare à Bruce Springsteen, pour un concert final organisé dans une jungle aride ! McDougall n'est pas un idéaliste, ni un rêveur. Il n'est pas aussi fou que les coureurs dont il parle (les Emil Zatopek, Ana Trason, etc.), ni aussi sage que ses amis Tarahumaras.
Son écriture est façonnée comme une sortie en fractionné : les phrases suivent un rythme soutenu, qui nous mène d'un souffle en des récits passionnants, puis se scindent en des riffs 
électriques, vifs, détonants. Une tuerie. Si ce livre va enthousiasmer les amateurs de running, il va bousculer les autres, simples mortels. Les aventures humaines contées sont étonnantes. Les performances sportives sont narrées comme des chroniques surréalistes. Comme si un témoin averti rapportait les premiers pas de l'homme sur Mars, ou l'ascension de Mirandon par votre serviteur.
Un livre extraordinaire, exceptionnel, unique, déroutant, lu grâce à Miss Ceccano, en préparant ladite boucle mythique peyremalencque de juillet, et sans dévorer une — ou alors… une seule — souris, en guise de friandise.

dimanche 24 août 2014

Mon autobiographie

« Le problème était que, ayant été avant-centre moi-même, j'étais toujours plus dur avec les attaquants qu'avec les autres joueurs. Ils n'étaient jamais aussi bons que moi, évidemment. Je suis désolé mais aucun n'a été aussi bon que moi quand je jouais. Les managers peuvent se permettre de telles vanités et, souvent, ils les infligent aux joueurs. De la même façon, les joueurs pensent être meilleurs managers que la personne en face — jusqu'au jour où ils essayent d'occuper le poste. »

Alex Ferguson
, Mon autobiographie   2013.
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Il y a son éternel combat avec l'Alsacien et coach d'Arsenal, Arsène Wenger, le « rival », le « bon client ». Rien que pour ce chapitre, ce livre est riche d'anecdotes uniques. Il y a ses bras-de-fer avec d'autres managers (Mourinho, pour n'en citer qu'un), et souvent dans son propre bureau, ici-même où les tensions se règlent à grands verres de bières et de vins ; comment cela irait-il plus simplement, dans un pays où « le public du football se compose principalement des gens de la classe ouvrière ».  Il y a ses colères, quand les Red Devils ne sont que le dauphin du champion. Cette autobiographie résume toute la hargne d'un être qui jalouse son voisin, quand ce dernier a un moteur plus puissant dans son bolide. Tout l'orgueil d'un homme qui n'abdique jamais, qui veut le monde du football à ses pieds — ou à ses crampons.
Natif de Glasgow (jeune, il joue, notamment, avec les Rangers), ayant effectué ses premiers faits d'armes comme dirigeant avec d'autres reds, ceux d'Aberdeen, Alex Ferguson est un personnage entier. Attachant et terriblement admirable, autant que nous lisons ce qu'il rapporte. Probablement terrifiant et quelque peu imbuvable, à le côtoyer au quotidien. Dans ses mémoires, qui n'offrent guère de douceur dans un monde de brutes shootant dans du cuir, il explique les coups de poker-menteur, pour attirer et acheter des joueurs, les rafler à la concurrence, grâce à quelques dizaines de milliers de livres sterling. Les meilleurs éléments à qui il réussit à confier les clefs d'Old Trafford sont ceux qui suscitent la convoitise des autres équipes ; et comment mieux juger de cela, si ce n'est par l'égard porté par les supporters d'en face : « L'une des caractéristiques qui signalent un grand joueur, c'est quand les fans adverses lui dédient des chants hostiles » !
Il admire les footballeurs les plus doués. Les désire, naturellement, pour son onze idéal. Les sublime. Et s'en détache, après quelques années, non sans regrets, mais avec certaines amertumes. Selon lui, la trahison n'est jamais loin. Peut-être n'a-t-il pas tort. Peut-être pense-t-il, plus ou moins secrètement, que les hommes lui appartiennent, dès lors qu'ils revêtent un maillot aux couleurs de l'équipe qu'il dirige — en l'occurrence Manchester United, durant ses vingt-sept années au plus haut niveau. Les mots qui reviennent le plus, dans ses témoignages, sont pour dire son refus de reconnaître ses faiblesses, de baisser la garde, d'accepter qu'il perd ou qu'il est en difficulté. Un peu comme sur le terrain où, se plaît-il à rappeler, l'adversaire sait toujours que les Mancuniens peuvent revenir au score dans les ultimes minutes de la partie. Comme si la vie — sa vie — n'était qu'une succession de temps additionnels.
À la lecture du palmarès de Sir Alex Ferguson, seul manque un parcours à la tête de l'équipe nationale d'Angleterre. Un poste qu'on lui proposa, par deux fois. Mais il ne pouvait, en aucun cas, devenir le sélectionneur des Three Lions : « Vous m'imaginez faire ça ? Moi, un Écossais ? J'ai toujours plaisanté sur la question et dit que si j'avais accepté, cela aurait été pour les faire descendre dans la hiérarchie. J'aurais voulu faire tomber l'Angleterre au 150e rang du classement mondial, avec l'Écosse au 149e. »

Un livre lu durant la trêve estivale, les pieds dans l'eau d'un lac de Vaucluse ; une lecture partagée, forcément, avec le Gunner Matteo, grand spécialiste de la Premier League.

lundi 28 juillet 2014

Tour du Mirandon

« Figurez-vous un bloc immense, formant presqu’île, s’allongeant de l’ouest à l’est, détaché du serre du Puech, escarpé, partiellement boisé, froid et inculte au nord, chaud et fécond au sud, éternellement ceinturé par les eaux de la Cèze, grossie de l’Omol et du Luech, et vous aurez une idée de Mirandon ! »
Ernest Durand, Une étude notariale au village 1905.
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Ce Mirandon, seul Ernest Durand, dans sa monographie de 1905, le cite. Nous avons beau feuilleter registres et vieux papiers, étudier la micro-toponymie de tout le Peyremalès, pas un demi-mot, ni en latin, ni en occitan, ni en vieux français, que ce soit avant ou après la Révolution, ne nomme la montagne où fut érigée, il y a plus d'un millénaire, l'église paroissiale peyremalencque chère audit prieur. Ce Mirandon intrigue. Nous nargue. Comme il le fait, ce frais matin d'été, dimanche 20 de juillet 2014.
Pour étudier sa courbe au plus près, nous voici inscrit au départ des 12,600 km de la célèbre course Tour du Mirandon, en sa 31e édition. Motivé comme personne, courant à domicile, nous visons, naturellement, le podium.
Ambitions revues rapidement à la baisse, dès le passage sur le pont du Mas Herm, puisque c'est ici que nous verrons furtivement et pour la dernière fois de la matinée, le trio qui finira en tête de la compétition. Ne pas regarder devant, s'accrocher au peloton, passer, avec lui, au-devant de la 
masada Jaussaud (où la famille a vécu, durant cinq-cents ans), et grimper aveuglément.
Le premier kilomètre, avec cette tranchée qui monte au Serre, ressemble à une sente en escaliers caillouteux, que seules les chèvres doivent savoir emprunter sans s'y briser les sabots : casse-pieds ! On se fie au dire de la plèbe de runners expérimentés : « Si tu ne peux pas voir le sommet, marche ». Après une boucle dans le dédale serré et pavé de l'Elzière — "L'Enfer du Sud", comme l'appellent les coureurs avertis —, on jette un œil à la maison Ariffon et, le temps de laisser le Chambonnet à main droite, non loin du lieu magique où les eaux du Luech et de la Cèze s'unissent, on entame les trente hectomètres suivants (le fameux mur des trente évoqué par les marathoniens). Ascension vers l'échafaud, à coups de lacets étrécis, ces trois-mille mètres sont annoncés comme le clou du parcours. Où l'on attaque la montagne, par la face sud. Ou ouest ? Qui s'en fiche ? On n'attaque rien du tout, on tente de se défendre ! Certes, ce n'est ni Mont, ni ton Ventoux, mais le dénivelé du versant méditerranéen de la Cévenne du Haut-Pays de Cèze recale un premier lot de dossards, qui alternent course lente et marche pénible. Nous continuons à trotter, mais, à défaut d'une médaille que l'on espérait raicher pour notre col, nous nous contenterons de gagner ce col rêche.
Le défi est tel, que l'on se sent, à quelques distances du chemin de croix, rapidement crucifié en plein effort. L'on cherche le relais. Plus haut, nous ne voyons pas les ruches, cachées derrière la végétation estivale, elle-même voilée derrière la sueur qui immerge nos yeux. Au plus haut du tracé, aux confins de Peyremale et de son ancien hameau, Bordezac, après avoir sauté l'Oule, on devine Clamoux, le Puech, Mercoire, l'ombre du château de Portes. De là, on aperçoit les tourbillons de Gourgime, la Cèze qui serpente autour de l'église et de Mirandon, que nous surplombons à présent. On se déconcentre un peu, en se perdant parmi ces paysages cévenols. Ceux qui finiront aux dix premières places (enfin, qui finissent, à cette heure où nous sommes encore à mi-parcours), n'auront pas pris le temps d'apprécier le paysage ; nous mesurons le privilège de figurer dans la catégorie coureurs du dimanche. D'ailleurs, dorénavant, nous visons, raisonnablement, une place au sein du Who's Who des finishers du Mirandon ; ce qui serait, déjà, un exploit en soi : nous ne sommes pas là pour préparer le Badwater Marathon, non plus !
La descente, enfin ; où l'on regrette, presque, la montée. Torse en avant, nous dévalons vers les Traverses, lieu fondé par Simon Aussel, lorsqu'il y fit construire sa maison, au printemps 1600. Arrivé en-bas, la rivière longe les Drouilhèdes, sans que nous ne puissions envisager de picar un capús. La sensation est terrible : ce (faux) plat oblige à relancer les foulées ; autant la montée faisait oublier toute émotion et la descente était une éternelle chute libre, autant ce long passage sans relief se révèle plus éreintant que prévu. Et la moindre bosse, comme ce passage traitre du Malpas (qui porte bien son nom), rappelle la présence de muscles (abimés) dans les cuisses.
Le dernier kilomètre est… de trop ! Il y a longtemps, que la sueur et le sel ont rincé les yeux. Va-t-on, seulement, voir la ligne d'arrivée ? Terminer la course, planqué à l'arrière du gruppetto, telle est notre ultime stratégie du jour. Ça y est, nous voyons,
à hauteur du panneau Peyremale, le Mas des Noyers. Nous traversons, en quelques pas fatigués, le Claux, et, "déjà", le Deneyriel nous attend à deux centaines de mètres. Sprint final, un dernier effort, et nous franchissons, d'un bond de cabri pronateur, la ligne, alors que les vainqueurs reviennent, eux, tranquillement, d'une douche salvatrice et méritée.
Un livre d'Ernest Durand — qui, fut-il curé, n'en était peut-être pas moins coureur de fond, qui le sait ? —, lu, relu, feuilleté, annoté, relu, éternellement ouvert sur le bureau ; un Tour d[e] Mirandon couru, finalement, sans qu'aucun ours (mais une souris !) ne nous ait bondi dessus, au gré des virages en épingle tracés par on-ne-sait quelle couble muletière.

lundi 23 juin 2014

Autoportrait de l'auteur en coureur de fond

« Enfin, le triathlon s'achevait. Je ne m'étais pas noyé, je n'avais pas crevé, je n'avais pas été piqué par une méchante méduse. Aucun ours affamé ne s'était jeté sur moi, aucune guêpe ne m'avait attaqué, aucun éclair ne m'avait atteint. Ma femme, qui m'attendait à la ligne d'arrivée, n'avait découvert aucune ténébreuse affaire me concernant. »

Haruki Murakami
, Autoportrait de l'auteur en coureur de fond   2007.
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Un autoportrait de l'auteur, mais pas une autobiographie. Un autoportrait de l'auteur, mais pas qu'en coureur de fond.
On retrouve Haruki Murakami (°1949 Kyōto), comme écrivain, comme penseur, un peu philosophe, un peu humaniste. Mais terriblement coureur de fond. À ne pas laisser s'achever une journée sans avoir avalé ses dix kilomètres de running, son quotidien est rythmé par des foulées régulières. Ce, depuis ses trente-trois ans, à l'âge où le Christ est mort, à « l'âge où Scott Fitzgerald a commencé à décliner. » À l'âge, où il a commencé à consacrer sa vie à l'écriture. À partir de ce jour, en écoutant, notamment, The Lovin' Spoonful dans son walkman, Haruki n'a cessé de courir. Son premier quarante-deux kilomètres, il l'accomplit sous le soleil caniculaire grec, retraçant alors, seul, la distance légendaire menant d'Athènes à Marathon, peinant, souffrant, soufflant, jurant, réalisant que « Rien dans le monde réel n'est aussi beau que les illusions d'un homme sur le point de perdre conscience. » 
Croit-il écrire sur la course — ou nous le veut-il faire croire —, qu'il parle de lui, de son activité d'écrivain, de ses doutes, de ses ambitions, autant avec humilité qu'avec, parfois, une petite pointe d'orgueil. À comparer la discipline qu'il s'inflige en tant que sportif, à celle nécessaire pour mener à bien un nouveau livre : concentration, hygiène de vie, respect de soi.
Participant à des marathons, des triathlons et
à diverses autres courses, Haruki Murakami s'est également essayé aux très longues épreuves comme les ultrafonds, ordonnant à ses muscles et ses jambes de le mener sur des distances de cent kilomètres. Probablement, dans ces exercices difficiles, où les efforts vont au-delà des forces supposées, pour se mieux connaître. Car, dit-il, « On a beau se poster nu aussi longtemps qu'on le souhaite devant son miroir, ce qui est l'intérieur ne s'y reflète pas. »
Un livre conseillé par Karin, lu en préparant le Tour de Mirandon ; course peyremalencque qui passe par Athènes et Marathon ; dit-on.

lundi 26 mai 2014

Appaloosa

« Tu es sur ton bel étalon Appaloosa. C'est une belle journée de printemps. Nous allons à travers les bois. Les jacinthes sont toutes dehors, et le ciel est bleu clair. »

Paul McCartney
    1998.
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Au dernier jour de l'exposition, le monde se presse vers le Pavillon populaire de Montpellier, pour découvrir — ou, comme nous, voir une deuxième fois — les quelques deux-cents tirages présentés lors de cette première française de la Rétrospective 1965-1997 de la photographe Linda McCartney (1941-1998).
L'artiste n'était pas qu'une musicienne du groupe Wings. Pas que l'épouse de Sir Paul McCartney, mais une photographe très connue, déjà au temps où elle se « patronommait » Eastman. Sûr, en épousant, en 1969, le célèbre bassiste, elle entrait au sein d'une des futures familles les plus notables d'Angleterre, dont les armes blasonnent joliment d'or, flanqué de sable, chargé de six filets en pal de l'un en l'autre, accompagné en tête et en pointe de deux tourteaux, au cimier surmonté d'un oiseau de sable tenant dans sa patte dextre une guitare d'or, à la devise Ecce cor meum
Auteure de plusieurs clichés d'anthologie — par exemple, ceux des musiciens Jimi Hendrix, Eric Clapton, Franck Zappa et Neil Young, intelligemment réunis pour un carré de guitaristes légendaires, des groupes The Rolling Stones, The Yardbirds, Grateful Dead, The Beatles —, Linda McCartney a, également, illustré son œuvre par un incessant travail sur l'autoportrait, et sur des techniques variées allant de la prise au Polaroïd à celles inspirées des balbutiements de l'art photographique. Les séries de photos « familiales » peuvent sembler des témoignages d'un quotidien intime, pourtant, les scènes sont aussi émouvantes qu'artistiques : des enfants, des lieux, des animaux, des temps révélés par quelque appareil argentique, entre les nombreuses tournées, on l'imagine, du couple McCartney.
« Tu es sur ton bel étalon Appaloosa… » : les derniers mots du liverpuldien Paul McCartney pour Linda furent pour l'inviter à "partir" au galop de son cheval Appaloosa, appelé ainsi en l'honneur des indiens Nez-Percés, dont les McCartney étaient très admiratifs.

Une exposition vue, une première fois, avec Uateniù, puis avec deux papooses de notre tribu ; la chanson "Goodnight tonight", étonnamment en mémoire, alors que d'autres titres des Wings furent, il faut l'avouer, de bien meilleures compositions.

mercredi 23 avril 2014

Black Rose

« I was the skin for your thorns
The pale light for your bloom
Black rose »
[ J'étais la peau pour vos épines
La lumière pâle pour votre fleur
Rose noire ]


Piers Faccini
, Black Rose    2013.
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Piers Faccini, c'est lui le magicien. Il est six heures et quinze minutes, et il nous entraîne dans l'univers d'une sorte de « raga du matin ». Une paire d'heures auparavant, à près de soixante-quinze kilomètres de là, à St-Jean du Gard, les musiques de Lost Highway nous régalaient encore, et ici, pour l'épilogue de la Zat de Malbosc, à Montpellier, c'est une terrible sensation d'arriver sur une autre planète, avec ce rendez-vous matinal précis, en voyageant d'un lieu à un autre, d'une scène à une autre.
Le jour se lève, il fait plutôt (antarctiquement ?) froid, quelques dizaines d'insomniaques privilégiés voient Piers hésiter à poursuivre le set après que trois morceaux et quelques gouttes de pluie ne soient tombées sur les guitares. Deux pro-tentes dressées vitement par les techniciens vont protéger le chanteur et son batteur, et le concert continue, entre ballades et fond de blues qui doit autant aux vieux musiciens du Mississippi qu'aux plus jeunes du Mali. La courte bruine cède pour que l'ambiance nuit-jour ne soit plus que l'unique binôme qui enveloppe dans son écrin intemporel le couple formé par Piers Faccini et Simone Prattico, et apporte, à ce dimanche de Pâques, une dimension irréelle. Un rêve, un enchantement. Une douceur. Une image qui ressemble à Woodstock 1969, disent de faux nostalgiques…
Piers Faccini chante "Black Rose", ainsi que d'autres titres de son récent album, joliment intitulé "Between Dogs and Wolves"
, à l'instar de ce concert qui a démarré à l'instant où les fauves terminent doucement leur nuit d'errances. Et rien n'existe d'autre, dans cette aube où le noir du ciel vire à l'orangé. Piers Faccini ne se dissimule pas. Sa voix et sa guitare sont celles des enregistrements, épurées et résolument intimistes. Sa musique est simple, franche, d'une sincère poésie, les cordes de ses instruments sonnent sous les arpèges ou le bottleneck. Seul son complice batteur et les anches des harmonicas qui vibrent s'ajoutent à son jeu de guitare pour entourer le chant. Un timbre légèrement éraillé, une voix qui caresse, soyeuse, feutrée ; il nous plaît de désigner Piers Faccini comme digne et légitime héritier de Nick Drake.
Un concert de Piers Faccini, qui nous berce et nous sucre comme un mélange d'épices, et nous fait passer du jour à son lendemain — le thème "Le pic du jour", une mazurka jouée par Lost Highway, à la fin de ladite nuit cévenole, avait réellement un titre prémonitoire…

vendredi 28 mars 2014

Soie

« Il avait derrière lui une route longue de huit mille kilomètres. Et devant lui, rien. Brusquement, il vit ce qu’il croyait invisible. »

«
Dans la pièce, tout était tellement silencieux et immobile que ce qui arriva soudain parut un événement immense, et pourtant ce n'était rien. Tout à coup, sans bouger le moins du monde, cette jeune fille ouvrit les yeux. »
Alessandro Baricco, Soie 1997.
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« On était en 1861, Flaubert écrivait Salammbô, l'éclairage électrique n'était encore qu'une hypothèse et Abraham Lincoln, de l'autre côté de l'Océan, livrait une guerre dont il ne verrait pas la fin. » Sur ce tableau commence l'histoire d'Hervé Joncour, un jeune homme originaire de Lavilledieu, non loin du Vivarais cévenol, berceau des Ariffon. Afin de trouver des vers à soie sains (l'épidémie de pébrine ravage la sériciculture du sud de la France), Hervé Joncour traverse l'Europe et l'Asie pour se rendre au Japon, où il rencontre Hara Kei, seigneur et riche propriétaire, parlant le français, qui lui vend la marchandise tant convoitée. Le jeune marchand revient chez lui aux premiers jours de printemps, pour « la grand' messe », et sa vie va changer.
Au fil de ses voyages annuels, les régions de l'Ardèche et du Japon deviennent voisines. Rien ne parait exister entre les deux endroits. Ni au-delà. Ce rien
évoqué par Alessandro Baricco, signifie que rien d'autre n'existe plus. Ou que l'on ne voit rien d'autre, mais que l'on devine l'invisible. Cet invisible d'autrefois, qui existe à présent et devient immensité. Hervé Joncour retourne plusieurs fois, à l'autre bout du monde. Acheter des vers à soie n'est presque plus qu'un prétexte. Il effectue huit mille kilomètres, pour y trouver la soie, et pour y retrouver son monde invisible. Huit mille kilomètres, c'est loin. Une véritable quête de… soi. La femme qu'il aime, inconnue et silencieuse, est à l'ultima Thulé de ces huit mille kilomètres. Ou, peut-être, moins loin ; là, tout près. Si loin, si près… Mais le sait-il, seulement ? La soie, ce fil de salive qui devient la douceur d'un voile sur la peau, tisse un amour impossible…
La musique, minimaliste, d'Arvo Pärt, choisie pour illustrer la pièce imaginée par la Compagnie Triptyk Théâtre autour de l'œuvre de Baricco, invite à se bercer des silences que suggère le voyage initiatique d'Hervé Joncour. L'accompagnement semble être la caresse d'un archet sur l'une de ces vièles que l'on rencontre dans les pays qui se relient pour devenir la Route de la Soie, et l'on entend l'art instrumental de ces musiciens traditionnels.
Un livre « lu », sous le texte de Vincent Leenhardt et la mise en scène de Denis Lanoy, lors de la représentation de "Soie", donnée à la Maison de l'Eau d'Allègre-les-Fumades, au près de ce pays de la soie cévenole, où les feuilles de mûrier se vendaient, jadis, comme des feuilles d'or.

dimanche 23 février 2014

Lettres à sa fille

« Sous prétexte qu'ils se transmettent d'une génération à l'autre une vieille propriété infestée de punaises, ils ont dans l'idée qu'ils sont des aristocrates, alors qu'à parler net ce sont tout bonnement des indigents. »
Calamity Jane, Lettres à sa fille 1898.
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Ces lettres sont-elles authentiques ? Personne ne le pense sérieusement. Mais, hormis si l'on considère que Martha Jane Cannary (ca1856-1903) était illettrée, elles le pourraient, tant elles content avec une certaine vérité la vie d'une femme qui errait d'un endroit à un autre, qui acheva sa vie démunie, aveugle et rongée par les remords d'avoir abandonné sa fille, une vie qui pourrait ressembler à celle de ladite Calamity Jane.
L'auteure, qu'elle fut la célèbre pionnière aux pantalons d'homme ou une romancière qui eut aimé incarner son héroïne, décrit les Black Hills de l'Ouest sauvage, les Sioux, les Cheyennes, ses parties de poker, ses aumônes, ses boulots de conductrice de diligences ou d'infirmière, de nourrice, même, ainsi que le Wild West Show de Buffalo Bill, où elle joue son propre rôle. Elle évoque, tout au long de cette correspondance, ses fidèles amours pour Wild Bill Hickok, sa reconnaissance éternelle pour le père adoptif de sa fille, Jim O'Neil, son attachement à son cheval Satan, et ses pensées maternelles, pleines de regrets, pour sa Janey.
Les bourgeoises 
de Deadwood, qu'elle accuse de garder des squelettes dans les placards et d'engendrer des fratries de bâtards, sont des contemporaines qui comptent également, dans ses mémoires : « Je n'ai encore jamais tué personne, mais j'aimerais cogner sur la tête de certaines femmes de Deadwood » ; « Si j'étais un homme, il me suffirait de leur flairer une seule fois les aisselles pour être dégoûté. »
Ces vingt-sept lettres, qui s'échelonnent entre 1877 et 1902, ont été dévoilées près de quarante ans après la mort de Calamity Jane, en 1941, par celle qui se disait être sa fille Janey. Elles se lisent aisément, comme nous écouterions une vieille tante, accoudée à la table de sa cuisine, raconter sa pauvre vie, une existence hésitant entre ses heureuses bagarres dans les saloons avec les mégères de la ville et une vie "plus" chrétienne, à cuisiner son mince pie et son gâteau de 20 ans.
Un livre lu, en écoutant "La ballade de Calamity Jane", superbe album — qui n'est pas sans rappeler les ambiances de la musique du film "Dead Man", jouée par Neil Young —, composé et interprété par Chloé Mons, Alain Bashung et Rodolphe Burger.

jeudi 30 janvier 2014

L'homme qui voulait être heureux

« Si vous ne renoncez à rien, vous vous abstenez de choisir. Et quand on s'abstient de choisir, on s'abstient de vivre la vie que l'on voudrait. »
Laurent Gounelle, L'homme qui voulait être heureux  2008.
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Quoique son immense succès ne soit pas contesté, ce n'est pas un livre exceptionnel, mais ce premier roman de Laurent Gounelle (né en 1966 et originaire de la Cévenne ardéchoise — des gages de qualité ?) est un écrit qui se lit avec tranquillité, qui distille quelques passages pertinents, amusants, quelques vérités plus ou moins philosophiques, au gré de vingt chapitres courts.
On pourrait résumer "L'homme qui voulait être heureux", en présentant qu'il s'agit de la remise en question d'un Occidental qui n'avait jamais imaginé qu'il se retrouverait « un jour à l'autre bout du monde, écoutant un vieux sage balinais [lui] commenter les seins et les fesses de Nicole Kidman », et ce serait presque suffisant — sauf respect pour le travail autrement plus complet de l'auteur. Disons que l'humour et la réflexion, alliés à la simplicité d'une aventure entièrement plausible, font un "heureux" et sympathique mélange, dans cette histoire entre deux hommes qui vont s'apprivoiser, à partir du moment où le premier comprendra que « ce n'est pas en disant aux gens ce qu'ils ont envie d'entendre qu'on les aide à évoluer ».
Le hasard faisant bien les choses pour construire ces journées qui se conjuguent à la première personne du singulier, le narrateur rencontre un maître qui va lui enseigner, en quelques discussions, en une sorte de psychanalyse en accéléré, comment modifier sa vie ou, pour le moins, comment l'enrichir en la débarrassant de ses plus lourds haltères et de son alter ego. Oublier ses certitudes, abandonner ses résistances, la clef est là, mais pour gagner ce nouveau chemin, il faut redoubler d'efforts, abattre ses préjugés. Car, effectivement, pour grandir, « ce n'est pas un détachement, c'est un renoncement » qui s'impose, et c'est ce qu'il est important de savoir, d'admettre, d'ordonner.
Un livre lu pour commencer l'année nouvelle, et conseillé à Estève, à Isa, à qui rêve, à qui rêvera