lundi 20 août 2012

Une vielle sur les genoux

« Une nuit, à demi conscient, l'œil méchant, il avait saisi sa vielle, ouvert la porte de sa mansarde et, d'un geste sûr et décidé, précipité l'instrument dans la cage d'escalier. Du rez-de-chaussée, était monté le son le plus discordant qui soit. Un bruit de cordes se délivrant de leur tension au milieu d'un fracas de bois brisé, heurtant les murs. Appuyé sur la rampe de la cage d'escalier, il contemplait et écoutait, du sixième étage, le triste résultat de cette fragmentation qu'il avait décidée. Sur les paliers, les portes s'ouvraient, les peignoirs apparaissaient. On voyait des bigoudis sur les têtes penchées, et même un homme réputé sourd, en pyjama. »
Richard Gain, Une vielle sur les genoux   2010.
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Nous devrions, peut-être, plus souvent, réserver tel sort à nos instruments.
Ce n'est absolument pas contraire aux règles musicales d'improvisations que nous nous imposons, généralement sans le savoir. Précipiter un instrument — et, dans l'art du bon goût, une vielle à roue — pour une chute au gré d'une cage d'escalier sans âge serait presque un geste avant-gardiste ; « et salutaire ! », ajoute, en chœur, l'entourage du vielleur. Et cela prouverait que la roue cahote mal, sur les reliefs. Mais, artistiquement, ce ne serait pas nouveau. Encore bien moins précurseur. 
D'autres ont brûlé des guitares sur scène, noyé des pianos dans des lacs, customisé des violons de Stradivarius, sans retenue ; lors, le saut sans élastique d'une vielle…
Aussi, comme Richard Gain, gardons la technique du lancer de vielle du haut du sixième étage pour nos cauchemars les plus audacieux.

Un livre offert par Mathilde, dite Ardéchilde, danseuse et mariée aux gants de boxe… et aux pieds-nus au Pays des Hobbits.