dimanche 29 septembre 2013

Diversité culturelle et droits de l'homme

« Nul ne peut invoquer la diversité culturelle pour porter atteinte aux droits de l'homme garantis par le droit international, ni pour en limiter la portée. »
Unesco, Déclaration universelle de l'Unesco sur la diversité culturelle  2001.
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Cet extrait de l'article 4 de la Déclaration universelle de l'Unesco sur la diversité culturelle — déclaration adoptée le lendemain des évènements du 11 septembre 2001 — pose un immense débat. Il y a ce droit, comme le souligne d'ailleurs l'article suivant, le cinquième, « pour toute personne, de s'exprimer, créer et diffuser ses œuvres dans la langue de son choix et en particulier dans sa langue maternelle », et cette obligation, rappelez ici, de ne pas se retrancher derrière cette diversité pour enfreindre les droits de l'homme.
Un citoyen européen peut donc, librement, s'exprimer dans son dialecte — qu'il soit sa langue maternelle ou non —, dans la ou les langue(s) officielle(s) de son pays, comme dans un autre langage, étranger à l'état où il réside, dans lequel il parle, écrit ou chante. Et heureusement ! D'ailleurs, dans certains pays, les radios et télévisions ont des quotas officiels, pour comptabiliser les passages, selon la langue utilisée, des œuvres diffusées sur les ondes. On peut penser, que cela limite, et qu'il y a, en quelque sorte, une forme de censure, et donc une entorse à la déclaration sur la diversité culturelle, mais il serait plus juste de comprendre que c'est un moyen de ne pas anéantir les cultures minoritaires par un laxisme protégé par le droit international. En France, par exemple, le premier critère de sélection stipule que les textes soient interprétés en français ou en langue régionale française. Précision qui est intelligente, et en cohérence avec ladite déclaration. Ainsi, depuis vingt ans, un véritable travail de valorisation de la diversité culturelle a été réalisé dans les médias. Insuffisant, diront certains, mais bien supérieur aux réalités d'alors.
Mais la question embêtante est de savoir où se situent la pertinence de ce pluralisme culturel et les frontière des atteintes aux droits de l'homme. Et au-delà de la musique et de la chanson. Malheureusement, et peut-être de plus en plus de nos jours, les valeurs attribuées aux traditions qui se transmettent sont des remparts qui se dressent face aux lois. Et certaines traditions culturelles, plus ou moins minoritaires d'ailleurs, sont portées comme de solides argumentaires pour contourner les droits de l'homme. Droits de l'homme, droits de la femme, droits à la culture, à l'éducation, à la différence, droits « comme moyen d'accéder à une existence intellectuelle, affective, morale et spirituelle ». Droits à la vie. La diversité culturelle, si elle s'érige au rang de 
« patrimoine commun de l'humanité », est, parfois, énoncée pour prôner l'inverse et l'intolérable.
Un document lu sous le conseil de Jany, chanteur, danseur, conteur et cornemuseur, maintes fois croisé durant une quinzaine d'années, et qui repassait par là, en chantant.

mardi 10 septembre 2013

Le métier de bourreau

« Nul ne peut dire qui est le bourreau, il n'a aucun statut légal, pas de véritable existence officielle. Nul texte ne définit sa fonction ; personne, depuis 1790, n'a cherché à fixer dans un texte légal ou administratif ce qu'il devait être, ni pourquoi il devait être. Le premier texte de l'Assemblée nationale, qui choisit la décapitation comme mode d'exécution, la loi du 6 octobre 1791, ne dit pas qui l'appliquera. […] Alors que les fonctions les plus banales, les plus quotidiennes, ont été définies par des textes précis et souvent surabondants, que le statut et le recrutement du moindre agent municipal, du fonctionnaire le plus subalterne, le plus humble, font l'objet de décrets, de lois et de règlements d'administration aussi nombreux que touffus, aucun texte n'a jamais tenté de préciser qui serait chargé de cette fonction suprêmement importante, capitale : donner la mort au nom de la société. On délègue ce pouvoir exorbitant, monstrueux à un homme racolé à la sauvette dans des conditions indéfinissables, selon des critères inconnus. Et cela dure depuis des siècles. Pour être habilités à dresser des procès-verbaux de contravention constatant des délits très mineurs, les gardes champêtres et les gardes-chasse doivent être assermentés, pas l'exécuteur. Alors que pour couper les cheveux de ses contemporains il faut d'abord obtenir un certificat d'aptitudes professionnelles, le premier venu fait parfaitement l'affaire pour leur couper la tête. »
Jacques Delarue, Le métier de bourreau 1979.
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Jacques Delarue est invité sur Radio France, à l'occasion de la ré-édition de son livre, "Le métier de bourreau". Nous prenons l'interview en cours, par hasard, et sa passion pour le sujet — peu joyeux, au demeurant — encourage à découvrir la première moitié de l'émission. Grâce à un échange de courrier avec la production de la radio, nous parvenons à obtenir une copie, sur cassette audio, de l'enregistrement — cette bande, qui arrive dans un petit colis, avec un mot de courtoisie, est le noble ancêtre du podcast, vous l'aurez compris. Cette heure de discussion, entre l'animateur et l'auteur, incite à présent à en savoir davantage. Le livre est acheté, dans les quelques jours qui s'en suivent.
Au départ, dès 1950, Jacques Delarue travaille, en collaboration avec Alister Kershaw, à l'élaboration d'une enquête sur la guillotine et les exécuteurs. L'écrivain australien, ayant accentué son étude sur la connaissance de la
« machine », publie "A History of the Guillotine", en 1958. Mais Delarue qui, entre temps, s'est recentré sur l'autre partie du sujet initial, les exécuteurs, poursuit ses recherches durant encore plus de vingt années, avant de sortir son livre. Et heureusement ! l'ouvrage est unique en la matière, proche de l'exhaustivité.
Cette histoire du métier de bourreau énumère « l'évolution
» des moyens de torture, les inventions, toutes plus ignobles les unes que les autres, pour une mise à mort lente, depuis l'Antiquité jusqu'à la Révolution, sans oublier les belles heures du Moyen Âge, évoque aussi les généalogies des familles de bourreaux (les Sanson, par exemple), où règnent une endogamie exemplaire (autre exemple : les Jouënne, en Normandie), liste les anecdotes les plus marquantes des exécutions légendaires.
Ce métier de bourreau, que l'Histoire et les gens, probablement
« par pudeur », ont volontairement oublié de définir, n'est pas un léger sacerdoce. Non seulement, il dure au long du court et simple temps de la carrière d'un homme, mais il implique, non négligemment, une famille entière, et cela sur plusieurs générations. Le bourreau assassine au soleil. Il est à la fois détesté et respecté, et son œuvre (ou ses hautes et basses-œuvres, plus exactement) est un spectacle des plus populaires, de tout temps, sur toutes les places, en province comme à Paris, dans les bourgs et les grandes villes. Artisan de la mort, il sait faire souffrir dans les règles de l'art, liant une complicité évidente avec ses « patient » (clients ?) — exemple du bourreau Capeluche, condamné en août 1418, qui place lui-même le billot, apprécie du pouce le tranchant de l'épée, puis explique à son valet maladroit comment il doit s'y prendre pour le frapper ! Homme d'une éternelle empathie, c'est en grand professionnel qu'il écourte les souffrances de ses « clients » (patients ?), moyennant quelques liards, certes, à la famille du condamné, mais, dans l'intérêt du spectacle, en redoublant de discrétion, de tact, faisant montre de vivacité et d'un calme froid, lors de l'étranglement qui abrège l'agonie de la victime, et avec le consentement d'icelle. Sentimental bourreau, indiquait Boby Lapointe…
Un livre lu et relu, notamment pour mieux comprendre les conséquences de la décision, en mars 1602, de faire replanter et redresser les fourches patibulaires en la juridiction du seigneur de Chamborigaud, au mandement de Peyremale.