mardi 30 décembre 2014

Hammer Of The Gods

« Au cours de la même soirée, Peter Grant repéra Bob Dylan et s'approcha de lui la main tendue en se présentant : "Je suis Peter Grant, le manager de Led Zeppelin." Dylan jeta un bref regard à Grant et rétorqua, impassible : "C'est votre problème, pas le mien." »

Stephen Davis, Hammer Of The Gods   2011.
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Bouclé, le même après-midi d'un 8 novembre anniversaire de notre rejeton, les 10 km de L'Isle-sur-la-Sorgue, et tombé sur "Hammer Of The Gods", ça c'est rock'n'roll ! Enfin, n'exagérons rien. Car si ce livre est écrit dans un style aussi puissamment expéditif que l'était celui du vainqueur de ladite course vauclusienne, on le déplore presque, au début, tant cela va vite et que l'on aimerait davantage profiter de l'histoire en prenant le temps, à chaque virage. Mais cela est autrement plus fidèle au ton musical imprimé par le groupe, dont Stephens Davis narre l'épopée d'une douzaine d'années.
Un book, où l'on croise les déités des prémices du blues-rock anglais, les Jeff Beck et Eric Clapton (qui précédèrent Page, au sein des Yardbirds), quelques scarabées qui s'extirpent sous des pierres qui roulent. C'est que, aux premiers chapitres, Jimmy Page n'est alors que Little Jimmy, même s'il griffe des quantités de plages de guitares pour les groupes qui cherchent un talent en entrant en studio ("You Really Got Me", des Kinks, évidemment). John Paul Jones est, lui aussi, assez renommé en tant que side man, enregistrant ses arpèges à la basse et travaillant aux arrangements des autres. Mais, non loin, Robert Plant n'est encore qu'un chanteur amateur, qui fait ses premières vocalises dans les pubs de la Vieille Angleterre, et John Bonham qu'un batteur féroce et sale gosse de son quartier, comme il le restera toujours, tout en devenant l'un des meilleurs drummers du monde et, probablement, depuis trente-cinq ans, de l'au-delà.
Quelques sessions plus tard, quoique dans l'anonymat journalistique, le groupe est déjà au plus haut de la gloire populaire, surclassant The Beatles et The Rolling Stones. Rien que sur la moitié du premier album, il y a déjà toute la signature de Led Zeppelin : la couleur acoustique, les riffs électriques, les arrangements en ruptures, en déchirures, le hammer rythmique, le blues d'un Robert Johnson, l'union sacrée voix-guitare, et les coups d'archets de "Dazed And Confused". Le disque suivant démarre fort, très fort : "Whole Lotta Love" frappe d'un sceau nouveau la musique de l'époque, grâce à la brutalité entière du quatuor, "Ramble On" ou "Moby Dick" ajoutent leur caractère intemporel. "III", injustement sous-estimé, cache des trésors intimistes et violents, avec les saccades de "Immigrant", l'oriental "Friends", le banjoïstique "Gallows Pole". Le quatrième enregistrement est celui de "Stairway To Heaven", un hymne, un roc(k), Tolkien et Jansch réunis, l'alliance parfaite du blues, du folk, du rock. Sous les calmes arpèges gronde un Led Zeppelin en volcan.
Parallèlement à la musique, rixes, bizutages, orgies, attestent lamentablement que les pires clichés sex, drugs and rock'n'roll ne sont pas une légende ; du moins, pour les four symbols qui s'efforcent, sans peine, à lui conférer ses titres de noblesse. 
« Des barbares », sont-ils ainsi décrits lorsque la presse daigne parler d'eux, ce qui déclenche bien des rires chez les principaux concernés. Les maintes colères seraient-elles "excusables" ? Un soir, à Nantes, le groupe saccage l'hôtel où les musiciens sont descendus, faute de n'avoir trouvé de quoi préparer du thé — cela peut déclencher de terribles contrariétés, sûr. Comme nous devons admettre, le plus légitimement du monde, que l'idée de jeter par les fenêtres des chambres toutes les télés d'un hôtel s'argumente facilement. Une autre fois, Bonzo manqua — on l'en empêcha — de détruire un train, fâché du retard que ce dernier accusait. « C'est un enterrement de vie de garçon qui ne se termine jamais », justifie Page, en éternel adolescent. Pagey, Jonesy, Percy et Bonzo sont autant indisciplinés que leurs cheveux sur leurs têtes de mômes. Leur folie est une douce et dangereuse poésie.
La saga de Led Zeppelin démarre aux États-Unis, comme le symbole d'un pèlerinage aux sources du blues du Delta qui inspira les fondateurs du groupe. Sur scène, les concerts se suivent, ne se ressemblent pas forcément — puisque les quatre improvisent longuement (écoutez les archives live des prestations du groupe) —, mais ont une constance, l'énergie métallique insufflée par une cohésion instrumentale exceptionnelle : « Ce furent Mardi Gras, les Saturnales et le Nouvel An chinois réunis en un seul et unique concert de rock », raconte-t-on, lors de la tournée de 1972.
Stephens Davis détaille les titres enregistrés, les sessions, les influences multiples, le matériel, évoque les rencontres avec l'inspirateur légendaire, Elvis Presley, ou avec la divine égérie Joni Mitchell. 
L'auteur chronique nombre de concerts, les discours, les rappels, l'ambiance depuis les loges et... les coups-de-poing, qui s'échangèrent parfois, au gré des mauvaises rencontres. Toute la légende, fidèlement résumée, du célèbre groupe qui scelle les deux décennies des années '60 et '70 au ciment d'un rock lourd et aérien.
Led Zeppelin : un sorcier, un hippie, un discret et une bête ; un supergroup spontané, un combo socialement irresponsable, si ce n'est d'avoir influencé Steve Harris (faute avouée), John Cowan (nous l'imaginons) ou some hurdy gurdy players (Page le premier !), à la fois ; la palette est large.
Un livre lu, alors que nous découvrions ce texte des calvinistes cévenols de décembre 1603 qui condamne « ceulx quy portent les cheveulx longs », lu en composant "The Kidnapping Of Lori Maddox".