lundi 28 juillet 2014

Tour du Mirandon

« Figurez-vous un bloc immense, formant presqu’île, s’allongeant de l’ouest à l’est, détaché du serre du Puech, escarpé, partiellement boisé, froid et inculte au nord, chaud et fécond au sud, éternellement ceinturé par les eaux de la Cèze, grossie de l’Omol et du Luech, et vous aurez une idée de Mirandon ! »
Ernest Durand, Une étude notariale au village 1905.
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Ce Mirandon, seul Ernest Durand, dans sa monographie de 1905, le cite. Nous avons beau feuilleter registres et vieux papiers, étudier la micro-toponymie de tout le Peyremalès, pas un demi-mot, ni en latin, ni en occitan, ni en vieux français, que ce soit avant ou après la Révolution, ne nomme la montagne où fut érigée, il y a plus d'un millénaire, l'église paroissiale peyremalencque chère audit prieur. Ce Mirandon intrigue. Nous nargue. Comme il le fait, ce frais matin d'été, dimanche 20 de juillet 2014.
Pour étudier sa courbe au plus près, nous voici inscrit au départ des 12,600 km de la célèbre course Tour du Mirandon, en sa 31e édition. Motivé comme personne, courant à domicile, nous visons, naturellement, le podium.
Ambitions revues rapidement à la baisse, dès le passage sur le pont du Mas Herm, puisque c'est ici que nous verrons furtivement et pour la dernière fois de la matinée, le trio qui finira en tête de la compétition. Ne pas regarder devant, s'accrocher au peloton, passer, avec lui, au-devant de la 
masada Jaussaud (où la famille a vécu, durant cinq-cents ans), et grimper aveuglément.
Le premier kilomètre, avec cette tranchée qui monte au Serre, ressemble à une sente en escaliers caillouteux, que seules les chèvres doivent savoir emprunter sans s'y briser les sabots : casse-pieds ! On se fie au dire de la plèbe de runners expérimentés : « Si tu ne peux pas voir le sommet, marche ». Après une boucle dans le dédale serré et pavé de l'Elzière — "L'Enfer du Sud", comme l'appellent les coureurs avertis —, on jette un œil à la maison Ariffon et, le temps de laisser le Chambonnet à main droite, non loin du lieu magique où les eaux du Luech et de la Cèze s'unissent, on entame les trente hectomètres suivants (le fameux mur des trente évoqué par les marathoniens). Ascension vers l'échafaud, à coups de lacets étrécis, ces trois-mille mètres sont annoncés comme le clou du parcours. Où l'on attaque la montagne, par la face sud. Ou ouest ? Qui s'en fiche ? On n'attaque rien du tout, on tente de se défendre ! Certes, ce n'est ni Mont, ni ton Ventoux, mais le dénivelé du versant méditerranéen de la Cévenne du Haut-Pays de Cèze recale un premier lot de dossards, qui alternent course lente et marche pénible. Nous continuons à trotter, mais, à défaut d'une médaille que l'on espérait raicher pour notre col, nous nous contenterons de gagner ce col rêche.
Le défi est tel, que l'on se sent, à quelques distances du chemin de croix, rapidement crucifié en plein effort. L'on cherche le relais. Plus haut, nous ne voyons pas les ruches, cachées derrière la végétation estivale, elle-même voilée derrière la sueur qui immerge nos yeux. Au plus haut du tracé, aux confins de Peyremale et de son ancien hameau, Bordezac, après avoir sauté l'Oule, on devine Clamoux, le Puech, Mercoire, l'ombre du château de Portes. De là, on aperçoit les tourbillons de Gourgime, la Cèze qui serpente autour de l'église et de Mirandon, que nous surplombons à présent. On se déconcentre un peu, en se perdant parmi ces paysages cévenols. Ceux qui finiront aux dix premières places (enfin, qui finissent, à cette heure où nous sommes encore à mi-parcours), n'auront pas pris le temps d'apprécier le paysage ; nous mesurons le privilège de figurer dans la catégorie coureurs du dimanche. D'ailleurs, dorénavant, nous visons, raisonnablement, une place au sein du Who's Who des finishers du Mirandon ; ce qui serait, déjà, un exploit en soi : nous ne sommes pas là pour préparer le Badwater Marathon, non plus !
La descente, enfin ; où l'on regrette, presque, la montée. Torse en avant, nous dévalons vers les Traverses, lieu fondé par Simon Aussel, lorsqu'il y fit construire sa maison, au printemps 1600. Arrivé en-bas, la rivière longe les Drouilhèdes, sans que nous ne puissions envisager de picar un capús. La sensation est terrible : ce (faux) plat oblige à relancer les foulées ; autant la montée faisait oublier toute émotion et la descente était une éternelle chute libre, autant ce long passage sans relief se révèle plus éreintant que prévu. Et la moindre bosse, comme ce passage traitre du Malpas (qui porte bien son nom), rappelle la présence de muscles (abimés) dans les cuisses.
Le dernier kilomètre est… de trop ! Il y a longtemps, que la sueur et le sel ont rincé les yeux. Va-t-on, seulement, voir la ligne d'arrivée ? Terminer la course, planqué à l'arrière du gruppetto, telle est notre ultime stratégie du jour. Ça y est, nous voyons,
à hauteur du panneau Peyremale, le Mas des Noyers. Nous traversons, en quelques pas fatigués, le Claux, et, "déjà", le Deneyriel nous attend à deux centaines de mètres. Sprint final, un dernier effort, et nous franchissons, d'un bond de cabri pronateur, la ligne, alors que les vainqueurs reviennent, eux, tranquillement, d'une douche salvatrice et méritée.
Un livre d'Ernest Durand — qui, fut-il curé, n'en était peut-être pas moins coureur de fond, qui le sait ? —, lu, relu, feuilleté, annoté, relu, éternellement ouvert sur le bureau ; un Tour d[e] Mirandon couru, finalement, sans qu'aucun ours (mais une souris !) ne nous ait bondi dessus, au gré des virages en épingle tracés par on-ne-sait quelle couble muletière.