samedi 31 octobre 2015

Football total

« Je me souvenais que, lorsque les joueurs d'Ajax entamaient une chanson, je m'interrogeais un moment pour savoir s'il s'agissait de leur voix ou d'une cassette enregistrée. Toutes les grandes équipes, me disais-je alors, doivent savoir chanter ! L'équipe de France, elle, entonnait un refrain, puis déraillait et abandonnait. Elle paraissait incapable de chanter la même chanson, comme de jouer le même match, du commencement à la fin. »

Stefan Kovacs
, Football total    1975.
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Les Baratelli, Trésor, Adams, Guillou, Bereta, Revelli pas plus l'aîné que le cadet de notre enfance ne savaient pas chanter. Terrible témoignage. Ils étaient nos héros, nos ténors préférés ! Certes, la cohésion générale ne trahissait pas une grande harmonie, aucun véritable soliste ne semblait se détacher de l'ensemble, et pas un chef d'orchestre n'était capable comme le sera, un peu plus tard, Platini de mener l'ensemble à la baguette, mais de là à conclure que l'équipe de France ne possédait pas de talent naturel pour la polyphonie vocale, c'est attristant ; un rêve de gosse brisé. Et c'est un spécialiste qui l'estime : Ştefan Kovács, grand amateur d'opéra, a de la feuille. D'ailleurs, il a passé des centaines d'heures dans les loges de choristes néerlandais, considérés comme les meilleurs interprètes des années soixante-dix. 
Quand Kovács arrive en France, en 1973, il laisse derrière lui deux saisons à la tête de l'Ajax Amsterdam, club qu'il a mené à deux titres consécutifs de champion d'Europe. Les Cruijff, Neeskens et Haan sont alors à l'apogée de leur carrière, et s'ils s'apparentent à des pop stars avec leurs cheveux longs, le football exceptionnel qu'ils pratiquent ne peut se comparer à aucun autre. Ils règnent en maîtres sur les terrains, inventent, avec leur entraîneur, un style nouveau, apportant leur pierre à l'édifice du football moderne.
Lui-même héritier de Rinus Michels et disciple de Helenio Herrera,
Ştefan Kovács participe bel et bien au renouveau d'un sport qui perd alors de sa superbe, avec le déclin de l'empire brésilien et l'essor du jeu allemand, très athlétique, ou du catenaccio italien, basé sur un système défensif ennuyeux. « Depuis la Coupe du Monde 1958, qui fut le triomphe du romantisme, le football est, en quelque sorte, entré dans l'âge classique », affirme-t-il.
Fort de ce constat, le technicien roumain (il est né en 1920, à Timisoara), devient le maillon entre l'après 1958 (la France termina sur le podium de la Coupe du Monde organisée en Suède) et les deux dernières décennies du XXe siècle, qui verront les succès de deux générations de Français. S'il n'est, par les résultats obtenus, qu'un modeste sélectionneur de l'équipe de France, il est celui qui impose de nouvelles méthodes, de nouvelles idées, de nouvelles ambitions, et, précédant le fabuleux Michel Hidalgo, celui qui place sur le bon tremplin les jeunes joueurs qui amèneront les Bleus à rivaliser avec les plus grandes nations.
Dans ce livre, sorti il y a exactement quarante ans, Ştefan Kovács narre son histoire à mi-parcours d'une carrière surprenante : passer de l'Ajax à l'équipe de France, en 1973, c'est comme si, aujourd'hui, l'entraîneur de l'équipe qui a remporté la dernière Ligue des Champions devenait le sélectionneur de la vingt-deuxième nation du football !
Un livre acheté soixante-quinze centimes, sur un étal avignonnais, et lu tout en échangeant avec Matteo nos connaissances sur le football total et sur Johan Cruijff.