mercredi 30 décembre 2015

Les paysans de Languedoc

« Le Cévenol de 1500, paillard et gaillard, épris de danse jusqu'à la folie, papiste, superstitieux et sorcier, sombre dans la nuit de l'oubli et dans les profondeurs du subconscient. »

Emmanuel Le Roy Ladurie
, Les paysans de Languedoc    1969.
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Dans sa thèse de 1966, publiée trois ans plus tard sous le titre maintes fois cité par les universitaires et historiens qui vinrent après lui, Emmanuel Le Roy Ladurie avance que le Cévenol de 1500 est libre et déluré. Où puise-t-il cette affirmation ? Dans l'éternel fantasme que l'homme du Moyen Âge est un joyeux drille, qui ne pense qu'à la fête et aux plaisirs multiples ? C'est un peu probable. Et il a, peut-être, un peu raison. Mais que le Cévenol sombre dans la retenue et la sagesse, subitement, en embrassant la Réforme — comme il l'entend dans ses conclusions —, c'est une autre idée, une hypothèse discutable.
Les règles changent. Les textes sont formels, la vie quotidienne doit être rythmée par le travail, la famille, la réflexion, par du silence et de l'humilité. Est-ce à dire que le Cévenol des XVIe et XVIIe siècles est moins « sage » que ses aïeux ? C'est moins sûr. Les délibérations des consistoires gardois ne manquent pas de nous décrire un pays qui s'amuse, qui flirte continuellement avec les lois et les devoirs.
Ainsi, en 1602, la Dame de Peyremale est-elle sévèrement rappelée à l'ordre par l'assemblée des farouches calvinistes avec qui elle partage sa foi, pour avoir donné bals et danses en son logis, et pour y avoir habillé, déguisé et masqué les jeunes gens allant fêter Carnaval. Durant cette même période, les confréries louent des joueurs de violon, pour mener le trouble dans les rues d'Alès, à la Sainte-Lucie ou à la Saint-Blaise. On danse, on boit, on joue aux cartes (des cartes, que l'on retrouve encore coincées dans les registres des notaires), la jeunesse s'adjuge tous les amusements, passant dans les dédales de la ville, sonnailles aux pieds, en criant et en chantant. Le Cévenol de 1600 ressemble fort à celui de 1500, seuls les interdits le mettent à l'index, le punissent, le briment jusqu'à en faire un hors-la-loi. Des lois qui ne sont probablement uniquement dictées que pour espérer poser des différences entre les mœurs des protestants et celles des catholiques. Et qui ne sont suivies, souvent, que très difficilement.
Un livre lu, il y a une vingtaine d'années, rouvert pour récupérer cette vieille citation et la confronter aux écrits dénichés, dernièrement, dans les archives du consistoire d'Alès.

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