mardi 30 juillet 2013

Le meunier d'Angibault

« Aucun peuple ne danse avec plus de gravité et de passion en même temps. À les voir avancer et reculer à la bourrée, si mollement et si régulièrement que leurs quadrilles serrés ressemblent au balancier d’une horloge, on ne devinerait guère le plaisir que leur procure cet exercice monotone et on soupçonnerait encore moins la difficulté de saisir ce rythme élémentaire que chaque pas et chaque attitude du corps doivent marquer avec une précision rigoureuse, tandis qu’une grande sobriété de mouvements et une langueur apparente doivent, pour atteindre à la perfection, en dissimuler le travail. »
George Sand, Le meunier d'Angibault 1845.
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La vie des gens qui dansent est, peut-être, triste, avant de rejoindre les parquets rythmés par les orchestres populaires. Tant et si bien, que même lorsqu'ils entrent en quadrilles, leurs visages demeurent fermés et silencieux. Ou alors, est-ce, comme le suggère George Sand, car la danse demande une rigueur telle qu’elle ne permet un franc amusement ; ou, pour le moins, qu’elle ne tolère qu’on affiche sa joie durant l’exercice.
S’amuser discrètement ou se dépenser avec une expression retenue n’est pas propre aux danseurs traditionnels de bourrées. En d’autres cercles, en maintes sociétés, les plaisirs du jeu ou de la fête ne nécessitent guère plus d’éclat. Lorsque deux joueurs d’échecs, des bains publics de Budapest, entament une partie,
entourés d’une dizaine d’autres joueurs, qui les connaissent depuis toujours, qui suivent presque avec sévérité les déplacements de leurs pions, les corps à moitié baignés par les eaux tièdes de la piscine au bord de laquelle ils ont déplié l’échiquier plastifié et disposé les pièces, le silence n’est pas plus là pour respecter leur concentration que par habitude de partager passivement. Or, ils sont heureux. "Invisiblement", mais ils le sont. Pareillement, toutes les chansons ne s’égrènent pas en rythmant du poing sur les tables, toutes les histoires — fussent-elles drôles — ne se commentent pas dans un brouhaha commun, toutes les danses ne commandent pas qu’elles soient expansives.
Un extrait d'un livre qui aurait pu être écrit par la Dame de Nohant, lors d’un bal dans la clairière du château d’Ars ; sauf au XXIe siècle, peut-être.

2 commentaires:

  1. Oui pour la sobriété qui dissimule (révèle plutôt ?) le travail. Quant au reste, ma foi, pas de raison de cacher sa joie même si cette attitude a de beaux jours encore devant elle. Mais au jour d'aujourd'hui il arrive parfois qu'elle ne témoigne que d'une certaine affectation un tantinet méprisante pour les autres, ceux qui ne font pas partie du "clan des initiés". Et dans ce cas là, je ne peux guère y souscrire. La bourrée est affaire sérieuse, oui certes, mais affaire de partage et plaisir avant tout !

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  2. Je suis d'accord, le bal doit être la fête de tous, de ceux qui restent au bord et qui regardent, des papis qui se lèvent seulement pour danser la valse comme nul autre, des éternels stagiaires qui dansent à la manière de ..., des fous furieux qui sont là pour faire place autour d'eux, des jeunes qui se cherchent, des hautains qui savent, des ménopausées qui ont trainé leurs copines, des vieux couples qui font plus le bal que l'amour, des quinqua qui pourchassent leur jeunesse, tous ... sans oublier les marmots qui courent et qui s'endorment sur les bancs (toute mon enfance !).

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