« C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. »
Arthur Rimbaud, Le dormeur du val — 1870.
________________
Une scène de silence. Même le vol, d'une branche à l'autre, d'un rare oiseau, ne rompt ni ne charme la tranquillité de cette image. Pas un souffle de vent, juste le calme d'un paysage sans écho. Et pourtant, autour de l'homme endormi, la vie impose une réalité franche, décrite par le poète, peinte en son tableau. La mort ne survient qu'avec le dernier alexandrin. La vie et la mort. Une fois, encore, la poésie s'empare de ce voyage ambigu entre les deux mondes.
Quel est ce dormeur ? Quel est ce val ? Un soldat de la guerre de 1870, logiquement. Mais Rimbaud, âgé de seize ans lorsqu'il écrit ce sonnet, l'aura-t-il seulement vu ? Ou, simplement, imaginé ? Ce jeune homme, paisiblement meurtri, est aussi un tambour de l'Armée Napoléonienne, un royaliste de la Petite Chouannerie, un combattant de la Guerre de Trente Ans, un déserteur. Il est toutes les victimes de toutes les guerres.
Un livre retrouvé dans la bibliothèque familiale, dans le mas de ce village où quelques vals, au loin, ont accueilli et abrité, tantôt, quelque dormeur imprudent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire