dimanche 19 octobre 2014

Le temps n'est rien

« Les choix qui s'offrent à nous sont, premièrement, un univers monobloc où le passé et le présent coexistent simultanément et où tout s'est déjà produit ; deuxièmement, le chaos, où tout peut arriver et où rien n'est prévisible car on ne connaît pas toutes les variables ; et troisièmement, un univers chrétien où Dieu a tout créé, où tout est là pour une raison précise, mais où nous jouissons malgré tout du libre arbitre. »

Audrey Niffenegger
, Le temps n'est rien   2003.
________________
Le temps n'est rien. Les jours et les heures ne se ressemblent pas… car ils ne se suivent pas. Henry sabote les décennies, passe de 1997 à 1977, de 1986 à 2003. Du XXe siècle au XXIe siècle. Du lundi matin au jeudi soir. Ses semaines ont deux jeudis, parfois. Si ce n'était que ça…
Henry a trente-et-un ans. Puis seize. Ou… onze et vingt-deux ans : à la fois ! Il est deux. Deux Henry. Un : lui et son double. Lui et lui. Claire ne voyage pas, elle. Mais, au cours du récit, elle a six, quinze ans, vingt, trente, etc. Si ce n'était que ça…
Henry voyage nu. Il ne porte rien. N'apporte rien. N'emporte rien. Pas un vêtement, pas un sou. Pas un secret. Mais quelques confidences, tout de même. Henry ne maîtrise pas ses "disparitions", ses errances dans le temps, ni le temps (de la durée) dans le temps, ni les lieux de ses arrivées. Il en devine les enjeux, cependant. Il sait qu'il n'a, paradoxalement, que peu de liberté. Si ce n'était que ça…
Nous sommes, à nouveau, éternellement, dans cette impossibilité de se jouer du temps. Le voyage dans le temps est, pourtant, ici, réalisé. Mais compliqué, contraignant. Dangereux !
Audrey Niffenegger a choisi de nous impliquer dans son histoire, dans les histoires d'Henry et de Claire, en confiant la narration à ce couple atypique. Dans cet exercice, l'écrivaine est admirable ; avec une plume riche, passionnante, elle alterne le sentiment masculin et féminin, sans rompre le style. Et crée une intrigue simple, la recherche du bien-être individuel, malgré des différences immenses : l'un est absent, l'autre attend ; l'un vit pleinement le présent, l'autre ne le peut qu'imparfaitement. Le plus difficile, semble-t-il, dans les cas d'Henry et de Claire, est l'assimilation des souvenirs. Certains appartiennent uniquement au passé de l'un, d'autres sont communs, sans avoir les mêmes valeurs. Bien évidemment, selon le présent dans lequel se (re)trouve Henry, selon son passé et ce qu'il sait de son futur, l'histoire n'est pas vécue avec des émotions intactes.
En refermant ce roman, on se dit que "Le temps n'est rien" pourrait avoir une suite. Espérons qu'Audrey Niffenegger ne lui en donne pas. Que les vies d'Henry et Claire se perdent dans la nuit des temps…
Un livre lu en voyageant vers des demains redoublés, dans un présent qui prend pour tremplin le chaos du passé.

2 commentaires:

  1. Hum!!! Allez, je vous écris... Bel ami.


    Les demains sont fortuits les futurs s'égrènent déjà
    Bien avant que le temps ne soit tout reste incontrôlable et si fluide
    Il ne reste que les compositions de nos inspirations à peine entamées
    Désirées, couchées, assemblées sur cinq petites lignes de clé de sol
    La force d'une étreinte entre fa dièse et do bémol
    Ni faux semblants, ni fausses notes sur le clavier de nos existences
    Juste ces regrets intemporels de n'avoir et de ne savoir à jamais.


    Le passé ne peut être changé (enfin, presque). Il faut sourire à cette pensée. Nous modifions et modelons le passé, les livres, ceux qui ont sur leurs couvertures, un grand H, la douleur des écoliers, nous relatent des faits selon un, des avis, des versions sans cesse opposées. Le temps que place mon enfant sur son ruban chronologique en me demandant telle ou telle date est sans cesse en confrontation avec l'espace qui l'entoure et le choix de celui qui a décidé de poser la date fatidique de la mort d'un illustre dans l'histoire et dans le temps.
    Cela s'appelle de "La triche!" Une réalité abusée ! C'est sans doute ce qui nous sauve de la folie des hommes, qui nous permet également de faire face à nos égaux démesurés d'humains.

    Pourtant, le temps est là, un peu comme un miroir dont la transparence justifie une réalité froide, La Vérité, à un point précis et qui déjà n'existe plus. Alors, continuons à tricher sur le monde virtuel qui nous entoure, le temps lui, ne triche pas, il passe et nous, nous trépasserons tous ! Le temps, ce n'est pas que la vie, c'est aussi la mort.
    Le futur reste comme suspendu, offert à nos mains pour être crée, c'est un très vieil ami qui me l'a dit, un jour. Mais, avant même d'y penser, notre futur est déjà dans le passé. Le défi serait-il, non pas de le contrôler, mais de le vivre pleinement, pas seulement de le rêver.

    J'aime le temps, un peu comme vous Monsieur, le scribe ! Vous y revenez très souvent. Je l'aime plus particulièrement, lorsqu'il n'y a rien à y faire, c'est-à-dire, rien du tout ! Ce temps où l'on peut rester à penser au temps et ne rien faire d'autre, le pied!!! La dolce farniente ! L'art de rien faire ! Quelle douceur ! Pas une course folle à travers le temps et l'espace, non merci, ce cauchemar ! Je suis toute compatissante aux gentils personnages du livre.
    Personne n'a encore écrit sur l'art de rien faire, mais où est-il cet écrivain Zorro et qu'il nous sauve de la complexité des sujets des voyages dans le temps. Jules Verne, Jules ! Retourne dans ta tombe ! Tiens, en passant, dresse le message à Einstein ! Ces deux-là, ont trouvé l'art de nous donner mal au crâne jusque dans l'éternité !

    Merci tout de même pour ce petit retour de voyage dans le temps... Je sors tout de suite, sans tarder ! Mon bon vieux CD de "Retour vers le futur ", car je suis devenue trop fainéante pour lire un livre sur les voyages dans le temps pour avoir trop soupé dans mon adolescence de science-fiction.
    Merci encore Pascal, pour votre belle écriture, toujours aussi précise et posée. J'enlève mes petites pattes de mouches de chez vous et ferme la porte pour un, temps !

    BA.

    RépondreSupprimer
  2. Entre Fa dièse et Do bémol, cela me rappelle une composition musicale qui a bien une ou deux paires d'années, déjà…

    Merci, BA !

    RépondreSupprimer